Il est des violences devant lesquelles écrire ne ménage aucune ivresse, j’entends poétique. La révolution en Syrie a commencé deux ans avant la rédaction de cet entrelacs de poèmes et chroniques, ce chronopoème qui s’étale de juin à septembre 2013. Devant le déchaînement de cruauté des images filmées, des nouvelles de la presse écrite, j’ai donc abandonné ma langue pour composer Syrie, ce proche ailleurs comme un plongeon en force dans la réflexion sur le pouvoir, la tyrannie, l’imposture, le délire, la résistance, l’espoir, le mal et la mort, les yeux livrés à l’actualité quotidienne du conflit.
Si le ravage et la barbarie ont fait éclater mon libre penser, c’est qu’à travers l’insoutenable, le poème peut naître et agir. La vérité n’existe pas. S’en remettre à la raison rend infirme. Mais l’envie de frapper férocement par des aphorismes, de lancer comme des pulsars, a ouvert en moi le chemin de la révolte libérée. J’ai tenté sur mon cahier d’intuiter la lumière, de faire preuve d’universalité pour que le poème réalise sa pensée de nomade.
Inhaler la violence pour la décortiquer, la recracher, la faire éclater sur papier. Me condamner à écrire autour de la monstruosité pour saisir la démesure du mal chez l’humain, la toute-puissance du désir, de son contrôle. Les mots apprennent à souffrir. L’énergie verbale tient dans sa vitesse des bâillons contre les sordidités. Elle jaillit des côtes, peut clouer sur place l’hémorragie de la dévastation, s’élève contre la mort. La nuit est alors moins rouge de sang. Il faut être terriblement armé d’amour pour faire face au vertige de l’horreur. Je n’ai décrit aucune scène de torture, de lynchage, ce qui m’aurait empêché de braquer l’histoire. J’ai choisi d’autres ressorts à la dénonciation. Ici, il n’y a pas de mise à mort. Mais un rendu à la vie. Des noms apparaissent: Bachar Al-Assad, Ahmad Jarba, etc., des dates telles le massacre à l’arme chimique du 21 août 2013, des chiffres: cent mille victimes en vingt-cinq mois de conflit suivant la presse, des éclairages précis comme le sort des réfugiés palestiniens en Syrie. L’attentisme des nouveaux empires occidentaux, le verrouillage de la Russie, de la Chine, la voracité de l’Arabie Saoudite, du Qatar, la convoitise de la Turquie, l’exigence d’Israël, l’irradiation de l’Iran, des chiites irakiens, du Hezbollah libanais, etc., autant d’acteurs observés livrant le peuple syrien à l’abandon et au supplice… Mais l’histoire n’additionne rien. Elle s’empare et engouffre. Reste le poème comme une poussée vers la libération, l’instinct fiévreux du songe, le cri sauvage au sortir du chaos. Le poème contre la monstruosité humanisée. Le poème comme rencontre avec l’épaisseur de la résistance.
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L’Histoire est une irréalité de conquêtes que la folie promène en horreur.
Il y a des êtres appelés à s’insurger. Ils avancent et font un pas, mille, et perdent leur cœur, un. Le temps du sinistre célèbre aussi la résistance. Se tenir à la limitation d’un acte est la prouesse la plus audacieuse.
L’ampleur des violations des Droits de l’homme est sans commune mesure. L’insignifiance de l’aide occidentale est là. Absolue, sa raison éparpillée voue la terre syrienne à l’agonie. Sa liberté éveille le mouvement de la destruction, exploite le conflit et conclut au suicide. Triomphe du tortionnaire Al-Assad qui rit de sa stérilité.
La cruauté galvanise l’obsession du temps. Au milieu des effrois, les clans se déchaînent entre eux, les tyrans rivalisent d’aliénation. Croire est le malheur spontané. Le vrai danger? Succomber à une torpeur vertueuse.
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Le régime de Bachar Al-Assad, muni d’un arsenal militaire phénoménal: mitrailleuses, scuds, blindés, artilleries, etc., a souhaité enfiévrer sa monstruosité avec l’usage des armes chimiques. Le gaz sarin est à l’honneur. Son utilisation n’est pourtant pas nouvelle! La Communauté internationale, moulée dans sa fiction dogmatique, a fini par consentir à l’épouvante sans pour autant agir: leur “ligne rouge” (tracée en août 2012) franchie ne trahissant pas la supercherie. Semblable audace illocutoire pour l’Union européenne qui déclare lever l’embargo sur la livraison d’armes aux belligérants syriens. Dans ce cadre de fortune, à ce jour, les armements antiaériens et antichars n’ont toujours pas grâce. Pendant ce temps, la passivité occidentale réussit à Assad, aux milliers de fanatiques sanguinaires… À quand la légitimité du transfert de l’État vers la Coalition révolutionnaire?
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La liberté serait de faire abdiquer toute idée de soif.
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La résidence de l’amour serait le lieu du paysage anonyme.
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L’UNESCO déclare que les sites syriens classés au patrimoine mondial sont tous “en péril”. Quelle avancée! Au songe de toutes les privations infligées à la population civile (quand elle ne se fait pas massacrer) dues à l’impossibilité de vote du Conseil de sécurité de l’ONU (vétos de la Chine et de la Russie): intervention militaire, zone d’exclusion aérienne, accès humanitaire, assistance aux réfugiés dans les pays voisins, etc. La légitimité internationale? Un sérieux bâillement de démocraties.
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Se coucher d’un trait avec franchise pour divaguer seulement, sans obsession du temps. Ni cri ni sommeil. Juste la profondeur de l’effacement…
L’épreuve sort de la chair. Au rebours, faillir se gonfle d’avidité. L’audace est mange-feu. La nuit. Le surgissement. Abandonner par courage non la peur mais la mue de la peur.
L’ailleurs ou la prolongation infinie de son propre oubli. J’exhibe mon cœur qui creuse en lui. Car le cœur est sans borne à chaque fois qu’il se perd dans la vie. Il entraîne simultanément avec lui la caresse de la divagation. L’enfer de la Syrie est là. Partout planent des désirs de tueries. Les boucheries sont la vitalité de l’histoire créatrice de buts qui s’auto-annulent à défaut d’engendrer sa finalité. La douleur? L’expansion de l’origine qui cherche à s’élever. La conscience, qui gouverne, est une bête, ni malade, ni indemne. Mais féroce, elle ne cache rien des supplices, des agonies provoquées. La volonté de la guérison de l’autre est encore une idée d’évasion. Elle est le miroir de sa propre mort cachée sous couvert de bonne santé. Je regarde loin. Je regarde près.
Là-bas, ici sont encore des idées d’avenir. Très perdue pour moi-même, je regarde ton œil, Syrie, hurlante, écorchée vive, abandonnée ou convoitée par tous, mais ouverte à la perte de l’horizon à épuiser de sueur…
L’attentat-suicide est une tragédie dépossédée: le déchaînement de la souffrance provoquée par son propre sacrifice n’abhorre aucun infini. Il est possible de périr explosé sous l’effet des ténèbres. Les corps se combinent alors à l’incendie. Que reste-t-il du destin? De sa grande idée du devenir? La fixité de la mort dédiée à l’absolu? Les pleurs des anges sur le lieu du carnage? La promesse de la vengeance? La vie qui ne peut modifier son sort.
Le devenir est un extraordinaire simulacre. L’Histoire entière s’en préoccupe à coups de systèmes d’où débouchent les hystéries, les ravages… Il suffirait pourtant de regarder l’horizon comme le seul instinct possible. L’esprit délaisserait sa conscience pour devenir l’inexplicable.
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La presse maintient que depuis la militarisation du conflit, la saveur de l’insurrection “citoyenne” syrienne est loin. Le mot guerre triomphe. Or la résistance civile porte avec elle l’esquive de la soif des instincts les plus dégénérés (la révolution la guide, elle est son droit)… La confessionnalisation du conflit (Le régime est alaouite, soutenu par d’autres minorités religieuses ou ethniques. L’opposition est en majorité sunnite où s’imposent des djihadistes, des Frères musulmans sur le terrain, dans les instances dirigeantes), électrisée par Bachar Al-Assad arguant l’absolu sanglant des djihadistes (combien de djihadistes irakiens a-t-il libéré au début du soulèvement pour conférer à la révolte populaire un caractère intégriste sunnite?), couronne le désespoir. L’effroi est gigantesque. Dans ce désastre ambiant, des parrains étrangers salivent: l’Arabie Saoudite et le Qatar enfiévrés de pouvoir après la chute d’Assad, rêvant d’un pouvoir sunnite à Damas, déforment la révolution en lui accordant un soutien. En attendant, le régime, fort de son armée et de ses nombreuses milices, impose sa terreur avec d’autres intéressés régionaux. Mention spéciale au Hezbollah libanais, aux Gardiens de la révolution iraniens (initiateurs ensemble de la douce milice Jaysh Al-Shabi), aux miliciens chiites irakiens, mais aussi aux Houthis du Yémen, aux Afghans. Face à eux, inclus dans l’opposition militaire syrienne, des incurables du fanatisme s’exposent à la rencontre d’autres désaxés… La palme de l’imprécation proférée revient au Front Al-Nosra (groupe djihadiste radical syrien armé dont l’objectif premier est la chute du régime, prêtant allégeance au chef d’Al-Qaida) et à l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL, proche d’Al-Qaida, fondé par la fusion du Front Al-Nosra et de l’État islamique d’Irak, dont la majorité des membres sont étrangers, souhaitant instaurer un État islamique sans attendre la chute du régime). Survient alors la charogne qui accourt de l’étranger en masse et sans hésiter. Parmi les nombreuses nationalités, on compte la tunisienne, l’algérienne, la saoudienne, la qatarie, la somalienne, la tchétchène… mais aussi la française, l’espagnole. L’Europe se distingue! Des katibas (pas forcément djihadistes) invoquent des visées nationales et politiques: la défense du pays, le châtiment des voleurs, la protection des civils, etc. Et l’ASL dans ce marasme? L’Armée syrienne libre (principale force armée de l’opposition, créée après plusieurs mois de crimes commis contre le peuple syrien révolutionnaire pacifique, dont l’unification des rangs reste épineuse, amorcée dans une situation d’ultime dispersion ; incluant le fanatisme de certains) se voit donc plongée dans une tragédie collective, enchaînée à ces nombreux commandos radicaux étrangers, et combat désormais pour sauvegarder les objectifs de la révolution aussi bien que ses stocks d’armes. Que de monde boursouflé d’horreur! Tandis que les médias promeuvent en boucle une vision surplombante de l’histoire de la Syrie et du monde arabe (notamment l’axe sunnito-chiite: entre les États du Golfe, soutiens de l’opposition, et l’Iran, soutien du régime), le processus révolutionnaire braille à s’époumoner réclamant de l’aide! Car loin de discourir sur les idolâtries des chancelleries, sur les solidarités confessionnelles, la résistance civile scande: “Dehors les imposteurs!”. Mais que peut un mot contre une Kalachnikov ou un missile? L’ivresse de l’anéantissement touche à son comble. Le couteau s’aiguise, les têtes tombent. La Communauté internationale dénonce un manque de coordination entre l’ASL et le Conseil national syrien. La rébellion peut attendre! De cette façon, les dissensions se multiplient… Certains tentent néanmoins de ne pas s’élever au rang de l’inhumanité. Le Front des Hommes Libres de Syrie (Jabhat Ahrar Souria rassemblant un grand nombre de bataillons et de brigades sous l’autorité du Conseil militaire suprême, adhérant à une Syrie démocratique et pluraliste), a souscrit à un code de conduite, et rappelle les principes de Droit auxquels doivent se plier les combattants de l’ASL. De même pour le Front islamique de libération de la Syrie (coalition démocrate hétéroclite: islamistes modérés et laïcs) qui vient d’adopter le “Pacte de la résistance syrienne” soit la volonté pour le Front de respecter les principes du droit international humanitaire… Alentour, il y a la Turquie, qui croit à son statut de pays-clé du dispositif de l’Otan au Moyen-Orient, qui rumine en sueur, le poignard n’étant jamais loin… Car il n’est point d’incroyant pour faire l’Histoire. L’aviation israélienne survole la Syrie, tantôt en missions de surveillance tantôt lançant des raids visant tout transfert d’armes au mouvement chiite libanais Hezbollah par l’Iran (Assad ne répliquant jamais afin d’assurer un équilibre militaire avec Israël). Israël, à l’instinct enraciné dans la faillite! C’est que le Golan se tourmente! Des casques bleus de l’ONU se retirent de la ligne de cessez-le-feu. Et Israël sait menacer pour faire du roman: si des livraisons d’armes sophistiquées russes parviennent entre les mains du régime! Quant à la Russie, allié indéfectible du régime, autres ténèbres fortunées, autre créature de l’Arbitraire, langueur de l’irrespirable! Intarissable, l’épouvante est l’accomplissement des monstres, et l’attirail du concept du Destin est carnavalesque! Oui, le crime est tripale, incapable de se débarrasser de son appétence! Engouffré dans l’investigation ou la révélation de l’horreur, l’homme s’habille de légitimité démoniaque pour affirmer son anatomie cauchemardesque… Les hommes grognent. La duperie du monde animal triomphe!
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Bachar Al-Assad s’est entretenu avec son besoin d’absolu à l’occasion du soixante-huitième anniversaire de la création de l’Armée syrienne en affirmant que son régime crèvera la rébellion. À le voir serrer les mains de ses soldats, on se dit que la propagande a l’élégance de sa tyrannie protégée. Dans son lever des yeux, traîne une mer sanglante enfantée par une vie de culte jamais diminuée… Le ciel sur le point de vomir s’étrangle. La comédie se dilate, la tragédie s’enivre de désespoir. Mais un mystère relève toujours de l’ineffable parcourant l’air… Le poignard contre lui sera une vie nouvelle, une vie paupières closes. La gloire transportant avec elle les velléités de sa ruine…
La réalité des enfants torturés, exécutés, morts sous les bombes, fait éclater l’abdication de l’homme devant sa faim démoniaque. Jamais en reste de jouissance, il féconde la barbarie avec une telle soif de perpétuation que le futur, dépassé par son cannibalisme, se désespère de devoir enterrer son infini monstrueux. Conquérante, la catastrophe n’est étrangère à personne. Chacun s’emploie à dépeupler la terre. Réticent à agir, l’homme sait s’adonner à l’horreur à des milliers de kilomètres. La mort est inviolable. L’agonie parvient à faire rougir l’impuissance. J’avoue ce matin respirer mal…
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Les massacres quotidiens, vissés aux idéaux, font la marche du temps jamais avare de sacrifices pour établir son éternité. Le cauchemar supplante la fiction, la rage horrifie la souffrance. Pour approcher le supplice du peuple syrien, le chaos demande à la vue de se dispenser de la volonté de s’en arracher.
Pour ne pas tomber malade d’espoir, les résistants composent avec l’inachevé. Ils assaillent d’énigme la désolation des paresseux domestiqués par la révélation du vide, l’absolu des fanatiques qui élèvent leurs actes jusqu’à la fatalité. Si la mort n’est l’intruse pour personne, les sens trépident pour elle différemment. Les endurants ne concourent pas à l’idée de règne. La grandeur du possible ne déterminant rien de leurs buts. Leurs actes sont des fuites d’énergie qui gonflent la vie sans s’attacher à l’idée de salut.
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10 septembre 2013. Le vote du Congrès américain est reporté. La punition promise pour décrocher, entre autres, les derniers outrages états-uniens (Irak, Afghanistan, etc.), s’est éclipsée. La Russie fait preuve d’habileté pour faire prospérer la rivalité (sous couvert d’une légitimation de l’ONU). Elle propose le placement sous contrôle international de l’arsenal chimique du régime syrien pour éviter les frappes occidentales, et par la suite de le détruire (aucune infrastructure en Syrie pour cela). La Russie insuffle la voie diplomatique! Au final, les intérêts américains et russes restent à l’abri! Les intérêts et la sécurité d’Israël sont assurés! Le chef de la diplomatie syrienne semble valider la proposition, le chef de l’Armée syrienne libre vocifère… Assad peut continuer de faire périr son peuple par l’utilisation de missiles balistiques, par l’aviation, etc., le monde s’accroche à son arme chimique! Les djihadistes se galvanisent de leur discours sur la duplicité de l’Occident, voire sur l’alliance entre Washington et Moscou contre l’Islam, etc.! Le fondement de l’insurrection syrienne n’ennuie toujours personne. Aucun intérêt des États impériaux occidentaux pour un renversement de la dictature. Le retrait d’Assad peut bien être attendu. Le régime a de l’avenir! Pour autant, le peuple syrien n’a jamais réclamé une solution militaire étrangère… Le peuple syrien agonise. Sans retenue, chacun jouit de la stratégie, la peur de l’autre augmentant le désir de dévoration.
La volonté profite à la fièvre. L’épuisement peut encore porter ses efforts! L’inspiration s’étale… Soumis à la fatalité de s’aimer, l’homme s’occupe à renchérir la souffrance, obsédé par son idée de dénouement. Un dénouement fort de vérité. Un dénouement dont l’affranchissement vis-à-vis du monde est impraticable! Ainsi le temps pérégrine, libre de ses jalousies et de ses haines…
Penser à la durée du conflit fait saturer de dégoût. Parce que las d’espérer une fin, l’esprit et le cœur se dessèchent. La pesanteur du devenir revient. Les poumons devraient seulement se gonfler pour désapprendre à faire naître l’intention qui engloutit de mal. Là-bas, la résistance ne s’encombre pas de l’explicable. La nudité est sa condition. Elle lutte et supporte. Devant elle, nous mourons du ravage de notre course vers l’insensé…
Commettre le privilège en mots de tuer la barbarie ne fournit aux victimes innocentes aucun baume. Mais le ciel capable de succomber peut frapper par abandon. Que le geste s’évanouisse sur le secret de ces corps suppliciés…
juin-septembre 2013
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Épilogue
Syrie, ce proche ailleurs a été écrit en 2013, clos avec l’abstention occidentale contre le régime de Bachar Al-Assad, après le massacre de la Ghouta du 21 août, attaque chimique au gaz sarin perpétrée par celui-ci contre son peuple. Si les événements de la Ghouta marquent un tournant dans l’histoire du conflit, si celui-ci est entré dans sa cinquième année, l’histoire de la Syrie recueille les plus grands exploits de la haine. Son étendue surpasse le monde.
Bachar Al-Assad est le premier responsable de cette catastrophe humanitaire: quatre millions de ressortissants syriens (dans les pays limitrophes, en Europe, en Amérique, en Australie), sept millions de personnes déplacées internes. Le despote n’a pas manqué de chasser la moitié de la population de son pays. Aujourd’hui, deux cent cinquante mille personnes ont péri. Nous comptons trois fois plus d’individus blessés. Sur le territoire syrien, les violations massives des droits fondamentaux de l’homme redoublent. Suite à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, combien de Conventions et de Déclarations ont fait de l’usage du mot par des collectifs le plus bel outil de la trahison? En 1951, la Convention relative au statut des réfugiés exprime, entre autres, des arrangements liés aux aspects de leur vie quotidienne: droit au travail, éducation, assistance publique, droit à des documents de voyage. Près de deux millions de syriens sont au Liban dans des situations de misère extrême. La détresse s’avoue aussi en Turquie avec le seuil des deux millions franchi. Le troisième pays hôte, la Jordanie, a fermé sa frontière aux demandeurs d’asile. Les Syriens sont les plus nombreux à braver la Méditerranée. Les naufrages et hécatombes se chiffrent-ils encore? La Méditerranée, située à la croisée de trois continents. Comment est-il possible que l’Union européenne ait mis fin à l’opération Mare Nostrum, militaire et humanitaire, en décembre 2014, qui avait donné lieu au sauvetage de milliers de vies? Certes, l’appétit du coût fait saigner la mer intercontinentale. La constatation est faite que la nouvelle opération Triton déçoit: elle empêche les patrouilles en eau profonde. C’est parce que l’homme se couvre d’irrésolution qu’il se sent vivant. Il a peur d’être sauvé. Et la peur s’empare de lui pour sauver l’autre. Ses idées sont colorées de rouge comme frappées d’impuissance. Parce que le devenir en lui est grand en matière de réussite. Sa soif de construction fixe le lointain. Et vautré dans sa déchirure, il offre un présent immergé dans l’insoluble. Ses mots ne font que suivre le cours de son insuffisance. À présent, l’île de Lesbos est devenue la Lampedusa grecque pour les réfugiés syriens.
Ainsi, le monde sans convictions poursuit ses questionnements. Toujours gêné par quelque obstacle, ses interrogations se retournent contre lui. Face au conflit syrien, il est le champion de la stérilité, éberlué devant le spectacle de “la pire catastrophe humanitaire” depuis la seconde guerre mondiale. En juin 2012, à Genève I, les États membres du groupe d’action sur la Syrie, rassemblant principalement les chefs de la diplomatie des membres permanents du Conseil de sécurité et des pays de la Ligue arabe s’accordent sur les principes d’un processus de transition politique mais sans suivi ni mise en œuvre. En février 2014, à la conférence internationale de Genève II, les délégations du régime et de l’opposition s’affrontent en un dialogue de sourds. Un défilé d’émissaires spéciaux de l’ONU pour la Syrie, Kofi Annan, Lakhdar Brahimi, Staffan de Mistura, parle à tous sans convaincre personne. La désertion campe. Nous assistons au triomphe du mensonge collectif sous couvert de débats, de conditions, de désaccords portés par quelques bavards, politiques ou réformateurs, dotés d’un sens aigu de la formule et d’un art assuré de la séduction. Les États-Unis ont-ils saisi qu’il s’agissait d’une révolution et intégré que la Syrie peint le sort du Moyen-Orient? S’ils semblent s’être aveuglés sur la réalité du conflit, c’est précisément que l’aveuglement est une réalité. Il suppose de nombreuses croyances. Y règne le discernement du non-sens. Car le temps n’est jamais démissionnaire de l’illusion. Il est vrai que chaque argument semble à court devant la mort. Les accidents du temps sont si nombreux. Devant l’agonie du peuple syrien, l’on vit entre les détours de l’espoir, l’acharnement de l’horreur et un kaléidoscope de raisonnements.
Les croyances fleurissent partout. Présentement, les pays du Moyen-Orient, les États-Unis, l’Europe, le Maghreb tremblent. L’extrémisme et l’intégrisme islamistes, sous le nom de Daech, acronyme arabe de l’État islamique, apparu sur le terrain en 2013, ou de groupes paramilitaires chiites, s’active sans cesse à accroître la barbarie. Rappelons que Daech est une organisation composée à quatre vingt pour cent de non Syriens. Elle a pour objectif de bâtir un califat sur toute la communauté des croyants sur le modèle du califat tel qu’il existait aux commencements de l’Islam, il y a quinze siècles. En mars 2013, la ville syrienne de Raqqa devient la capitale de son califat. Elle le proclame à cheval sur la Syrie et l’Irak l’année suivante. L’effort ne fut pas démesuré pour enfoncer les lignes fixées lors des accords Sykes-Picot de 1916. La saisie d’infrastructures pétrolières et les pillages lui garantissent des revenus bien supérieurs à toutes les organisations armées non-étatiques. La procuration d’armes, les opérations de propagande en sont l’aboutissement. L’organisation fondamentaliste s’est épanouie en Syrie à la faveur du chaos: une opposition amoindrie et abandonnée, et un brutal affaiblissement de l’armée loyaliste. L’inexorable persiste quand on sait que Bachar Al-Assad a libéré massivement des centaines de djihadistes de prisons, notamment de celle de Saydnaya, au début de la révolution. Le tyran a toujours fait feu de tous bords. Pour rappel, les nationalités de son armée ou qui la bordent sont libanaise (Hezbollah), iranienne, russe et irakienne. À Paris, l’attentat contre Charlie Hebdo date du 7 janvier 2015. Le poignard, la ceinture d’explosifs, la Kalachnikov ont contrarié le tracé des frontières. Car les maîtres de la barbarie évoluent facilement sur l’échiquier, à bord de pick-up ou déguisés en clandestins. De mai à juillet 2015, les attentats à Koudeih, à Sousse, à Khan Bani Saad, pour ne citer qu’eux, ont frappé l’Arabie Saoudite, la Tunisie et l’Irak. Aujourd’hui, lundi 20 juillet 2015, Daech a perpétré un attentat dans la ville turque de Suruç. Contre l’organisation, la coalition internationale conforte dernièrement sa vanité, en bombardant les positions clés de l’organisation fondamentaliste en Irak. On imagine aisément ce que détruisent les missiles occidentaux à cinq mille pieds lorsqu’on sait que les djihadistes se fondent en permanence dans la population. La formule de la guerre “hors-sol” contre un djihadisme multipolaire et ancré résout nos lèvres à plisser.
Les visions absolutistes de Daech et la tyrannie d’Assad partagent la même fascination pour l’anéantissement des forces révolutionnaires. Pour certains, les fatalités s’amoncellent. Le camp palestinien de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, après avoir subi un bombardement aérien par l’aviation du régime en décembre 2012, et un siège d’une ultime sévérité depuis juillet 2013 par l’armée syrienne et les milices chiites ses alliées, se voit occupé dans sa plus grande partie par une offensive-éclair menée par Daech en avril 2015, de connivence avec le régime Assad. L’enfer est grand. Le spectacle ne change pas de décor. Les bombardements au chlore, aux “barils” (containers de TNT bourrés de grenaille) de l’armée loyaliste sont réservés à la population civile dans les territoires contrôlés par les rebelles. Pourtant, Bachar Al-Assad, qui enchaîne depuis le début de l’année 2015 les interviews “exclusives”, dément toujours l’usage par son armée de gaz de chlore, dit disposer de “bombes, de missiles et de balles”. La démence enfle. Le monde est libre de faire usage de sa médiocrité. Nous écoutons sagement le vérifiable. La lâcheté se nourrit aussi de l’exactitude des faits. Les forces du régime n’ont, à titre d’exemple, jamais pilonné Raqqa où se situe l’état-major du groupe fondamentaliste. En mai 2015, le monde, comme à l’accoutumée, s’installait devant l’idée du chaos, en poussant de grands cris d’effroi, poursuivant par là même sa consécration de la mort tel un invariant, une fois la prise de la cité de Palmyre avérée. Les semaines du temps ne se ressemblent pas: moins de réactions horrifiées devant les destructions antérieures par Daech des cités d’Hatra, de Nimroud, ou du Musée de Mossoul en Irak. En tout cas, l’ondulation de l’impuissance du monde semblait être parvenue jusqu’aux forces du régime retirées de Palmyre avec une rapidité assassine puisque des dizaines de ses soldats ont été exécutés quelques heures plus tard dans l’amphithéâtre de la cité par des adolescents endoctrinés. Pour mieux convaincre, des enfants, installés dans les gradins, assistaient aux scènes. Daech s’offrait le grand désert syrien. Pourquoi l’idée du salut ne hante-t-elle pas ces créatures criminelles? Leurs yeux enflammés seraient-ils fainéants à l’idée de faire dégorger leurs mains de sang?
L’usage journalier de “Daech” ramène à la Syrie tandis que la population du pays a perdu sa souveraineté et du côté du régime et du côté de l’opposition. Et la tâche est ardue pour enregistrer les forces multiples sur le terrain. À quelle pulsation bat l’opposition armée syrienne même absorbée par la complexité? Elle voit dresser devant elle des barrières de malédiction. Elle est actuellement constituée de différents groupes et brigades locales, dominés par les islamistes plus ou moins radicaux, y compris le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, et financés par des fonds des pays sunnites de la région, des pays du Golfe. Le gouvernement provisoire mis en place par la Coalition nationale des forces de la révolution est toujours en exil, en Turquie. La surprise n’est pas immense. Les instincts poussent sous la forme des armes et de l’argent. Pourquoi attendre que l’aveulissement perde de sa vigueur? La vérité est que la maladie garantit l’entreprise du souffle. L’Armée syrienne libre de 2011 s’est d’abord vue refuser l’aide de l’Occident, a trouvé refuge dans la non coordination et la non centralisation de ses forces, avant de plonger dans l’islamisation de ses combattants. Les saisons et les lieux la clouent fréquemment dans l’oubli. Cependant, elle déverse ses forces sur le territoire, et enseigne sur la réflexion des ondes: sa proposition de plans politiques pour favoriser la transition vagabonde jusqu’à nous. Rêver d’une action au sol par les rebelles, d’une zone d’interdiction aérienne, d’un laboratoire d’essais de l’après-Assad à travers la ville d’Alep, la deuxième ville du pays. L’espace sonore n’est pas nouveau. Les forces révolutionnaires réclament l’aide internationale depuis le début.
La vie humaine est une va-t-en guerre. Les pertes humaines et les dommages de guerre assurent son trophée. L’idolâtrie de la mort finit par se soutenir sur elle. Savoir que le contrôle des sources de matières premières, leurs voies d’acheminement fait toujours naître des désirs colossaux n’étonne pas, ou encore que le Conseil de sécurité de l’ONU entérine cette nuit l’accord “historique” sur le nucléaire iranien signé il y a huit jours à Vienne. Les vocables “promesse”, “sanctions”, “isolement” crispent les bouches une dernière fois avant d’être lâchés. L’histoire les retrouvera. Renouer avec le dictateur syrien est sur la plupart des langues. Médecin, cet ancien étudiant à Londres, traîne avec lui une longue démarche de séduction. L’Occident gagne en quiétude avec l’abandon de l’image des anciens dirigeants arabes. Pour l’heure, sa décadence inquiète. Les forces loyalistes du régime ne détiennent plus qu’un quart du territoire syrien. Une valse d’interrogations vient maintenant peupler l’apparition ou la hantise du vide. À quel moment Bachar Al-Assad finira-t-il en tragédien? Combien d’années le chaos va-t-il durer? La Syrie va-t-elle connaître la guerre civile, une pièce à la libanaise? L’idée de partition sur une base communautaire est-elle envisageable? Le groupement des “amis du peuple syrien” cessera-t-il de connaître le mensonge? Les deux parrains du régime syrien ; l’Iran et la Russie, vont-ils mordre un jour au dialogue avec la communauté internationale? Une tradition séculaire de coexistence entre confessions retrouvera-t-elle un jour sa propriété?
Ne pas ignorer la pratique du mensonge. Seulement, ne pas s’éloigner de la solitude qui permet d’admettre la vie. Nous savons qu’il y a là-bas, dans quelle tristesse, dans quelles craintes, dans quelle douleur, des naissances. L’arôme de l’instant, qui n’attend rien, illumine. La poésie se doit d’écrire pour elles. Que, jusqu’à elles, glisse l’écho de mes signes…
Le 20 juillet 2015
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Laurine Rousselet (France, 31 décembre 1974). Auteure, poète et chroniqueuse. Ses publications de poésie comptent: Mémoire de sel (2004), Séquelles (2005), Hasardismes (aphorismes, 2011), Crisálida et Journal de l’attente (2013), Nuit témoin (2016). Et de narrations : L’été de la trente et unième (2007), De l’or havanais (2010), La Mise en jeu (2012), Syrie, ce proche ailleurs (2015).
There are certainly a lot of details like that to take into consideration. That is a great point to bring up. I offer the thoughts above as general inspiration but clearly there are questions like the one you bring up where the most important thing will be working in honest good faith. I don?t know if best practices have emerged around things like that, but I am sure that your job is clearly identified as a fair game. Both boys and girls feel the impact of just a moment?s pleasure, for the rest of their lives.